- K-ron a écrit:
"toute prise de conscience est-elle libératrice?"
«C
omment peut-on faire une chose pareille?» Il suffit d’ouvrir
le journal pour éprouver que sa lecture n’est pas seulement prise de
connaissance d’informations neutres, mais une prise de conscience qui
semble déjà être comme telle une prise de position, un début d’action,
un commencement de liberté. Mais n’y a-t-il pas là, aussi, une
illusion? A quoi mène vraiment cette indignation? Si elle ne conduisait
pas à une «libération» effective, le soupçon d’impuissance ne se
porterait-il pas, au-delà de l’action, sur la prise de conscience
elle-même, source dès lors de désolation vaine et de malheur? Pourtant,
on ne peut s’en tenir là. Comment pourrions-nous nous libérer si nous
n’avions pas conscience de nos servitudes? Il faut donc se demander
plutôt si toute prise de conscience est libératrice, c’est-à-dire si la
prise de conscience est libératrice comme telle, ou si elle ne l’est
pas à certaines conditions et, pour notre part, nous en verrions en
effet deux.
Mais ce n’est pas
par hasard, d’abord, si toute «prise de conscience» nous semble
libératrice comme telle. Quel que soit en effet l’objet, la situation,
dont nous «prenons conscience», en prendre conscience c’est à la fois
se détacher de lui et reprendre possession de soi. C’est comprendre
d’abord que l’objet, même le plus massif (cette pierre, cette
montagne), cette situation, même la plus terrible (cette guerre),
n’existe pas sans ma conscience qui en outre, non seulement les perçoit
comme tels, mais leur donne sens de manière libre. C’est ainsi que,
pour Sartre, la conscience non seulement est irréductible à une chose,
est liberté, mais en outre choisit le sens qu’elle veut donner à toute
chose, et cela pour tous les hommes. Ainsi, même si la conscience est
liberté, prendre conscience reste un travail, et c’est aussi celui de
l’intellectuel.
Mais le premier problème que rencontre cette conception, c’est
qu’elle semble valoir pour tout objet et toute situation, qui laissent
en tous les cas la liberté entièrement intacte. Or il se peut que la
prise de conscience ne soit libération que si elle révèle à la liberté
sa propre dépendance. De fait, toute «prise de conscience» est d’abord
un «c’était donc ça», une surprise, la découverte d’un fait ou d’une
nécessité objective qui dépassent la conscience ou dont celle-ci
n’avait pas conscience, qu’il s’agisse de la nature en général (comme
chez Spinoza) ou de notre inconscient psychique (comme chez Freud, et
malgré tout ce qui les sépare). La dimension de «libération» qui
persiste cependant n’est pas seulement ici dans le savoir comme tel, ni
même dans le fait qu’il dépasse une illusion, mais dans le fait que
cette illusion est pensée comme une servitude, comme le fondement de
toutes les servitudes.
Mais cela n’est pas aller assez loin encore. Le point commun entre
ces deux premières conceptions, c’est qu’elles valent en effet quel que
soit l’objet de la prise de conscience: la liberté s’aperçoit elle-même
tout aussi entière devant un arbre que devant une révolution, chez
Sartre, dans la connaissance mathématique ou politique chez Spinoza. Or
on peut se demander si la prise de conscience pleinement libératrice ne
serait pas celle qui surgit de la relation même entre les libertés,
c’est-à-dire entre les hommes, qui se découvrent libres dans leurs
relations mêmes, justement lorsque ces relations semblent s’y opposer,
dans l’expérience du pouvoir et même de l’abus de pouvoir, de la
violation. C’est devant l’injustice que surgit la prise de conscience
non pas seulement comme liberté, mais de la liberté. Peut-être
d’ailleurs le sommet de l’injustice est-il d’empêcher cette prise de
conscience, de sorte qu’elle surgira plus facilement chez des tiers,
qui pourront la ressentir et la dénoncer, et en faire un moment de
l’histoire humaine et de sa dimension morale.
Pour qu’une prise de conscience soit pleinement libératrice, il ne
suffit donc pas qu’elle démasque une illusion ou une mystification; il
ne suffit pas qu’elle nous dévoile nos ressources pour y répondre,
notre liberté comme telle; il faut aussi qu’elle porte sur les
relations morales et politiques qui seules en font une véritable
libération. Dès lors, si certaines prises de conscience devaient
détruire ces relations, il faudrait y renoncer; inversement si certains
actes devaient être libérateurs en eux-mêmes, la prise de conscience
n’arrive qu’après, non plus comme une indignation, mais comme un
émerveillement:
«Comment ont-ils pu faire une chose pareille!» ____
C' est un philisophe qui a fait le sujet que ta prit Caron ( yen a d' autres qui ont fait les autres sujets )